L’État est souvent représenté comme une entité bureaucratique abstraite et neutre. Or il se constitue à travers des discours, des pratiques et des relations qui en font une réalité concrète et située, s’incarnant dans le travail de ses agents et s’incrivant dans les enjeux de son temps. C’est ce que montre cet ouvrage, produit d’une enquête de cinq années, qui décrit et analyse le fonctionnement de la police, de la justice, de la prison, des services sociaux et de la santé mentale. Ces institutions ne sont certes pas tout l’État, mais elles ont affaire, en large part, aux mêmes publics issus de milieux populaires, d’origine immigrée ou appartenant à des minorités.
Au fil d’une étude qui associe généalogie et ethnographie, il apparaît que la prise en charge de ces populations procède, au sommet du pouvoir comme dans le quotidien des interactions, non seulement de l’application de règles et de procédures, mais aussi de la mobilisation de valeurs et d’affects, de jugements formulés sur des groupes ou des personnes et d’émotions ressenties devant des situations ou des actes : elle exprime la morale de l’État. Nourrie des débats autour de l’immigration et de l’asile, de la délinquance et de sa répression, de la responsabilité des individus et du rôle de la solidarité, cette morale met en tension un État social en recul, un État pénal en expansion et un État libéral qui attend toujours plus de ses sujets. Comprendre cette raison morale si souvent refoulée, c’est ainsi repenser le politique.
Réunie autour de Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHESS, une équipe de chercheurs – Yasmine Bouagga, Isabelle Coutant, Jean-Sébastien Eideliman, Fabrice Fernandez, Nicolas Fischer, Carolina Kobelinsky, Chowra Makaremi, Sarah Mazouz et Sébastien Roux – propose une lecture renouvelée de l’État contemporain.
L’État est le plus souvent représenté comme une entité abstraite et neutre. Or il est fondamentalement une réalité concrète et située, qui s’incarne dans le travail de ses agents. Ceux-ci ne se contentent pas d’appliquer des directives et des procédures ; les jugements qu’ils formulent et les émotions qu’ils ressentent sont partie prenante de leurs décisions, dont la somme constitue l’action publique. Autrement dit, l’État est également une entité morale. C’est ce que montre cet ouvrage qui, au fil d’une enquête ethnographique de cinq années, s’attache à comprendre l’ordinaire du fonctionnement de l’État à travers un ensemble d’institutions : la police, la justice, la prison, les services sociaux et la santé mentale, qui ont en commun d’avoir affaire, en large part, aux mêmes publics, composés d’individus de milieux populaires et précaires ou d’origine immigrée. Défini dans cette tension entre les politiques telles qu’elles se décident au sommet et les pratiques des agents dont les valeurs et les affects sont eux-mêmes nourris par les débats autour des problèmes sociaux qui font leur quotidien, l’État apparaît simultanément dans ses fonctions contradictoires d’État social en recul, d’État pénal en expansion et d’État libéral qui attend toujours plus de ses sujets. Cette attention à la manière dont la morale s’inscrit dans l’action publique participe ainsi de sa repolitisation.